C'est une jeune patiente que je devais voir, 14 ans, qui semblait aller très bien. Sa mère l'accompagnait. J'ai vu le regard de la mère lorsqu'elle m'a dit bonjour. C'était un truc du genre "Merde, c'est un jeune, il va pas pouvoir nous aider". Et j'avoue qu'elle n'avait pas tort.
Elles se sont installées dans les fauteuils de l'autre coté du bureau, et la mère a pris la parole.
- Depuis deux ans, elle a mal au pied. La dernière fois que nous sommes venues, on lui a donné une échographie et une radiographie à faire. Les voilà.
Je me suis dit en ouvrant l'enveloppe, qu'une fois de plus tout serait normal, et je commençais à réfléchir à ce que je pourrais proposer pour ces douleurs, de croissance peut être...
J'ai lu la conclusion du compte rendu. J'ai relu la conclusion une deuxième fois. Je me suis dit que ça ne m'avançait pas, j'ai donc lu le compte rendu en entier, et je n'étais toujours pas plus avancé. Et pourtant, il y avait quelque chose.
- Donc, comme vous l'avez lu, le radiologue a pu poser un diagnostic que les douleurs de Léa. [je ne me souviens plus de son nom, mais comme toutes les filles de son age s'appellent Léa, l'anonymat n'en sera que mieux préservé] Il s'agit donc d'une maladie de Freiberg. [A vrai dire, le radiologue évoquait fortement le diagnostic mais n'était pas formel non plus.] Le radiologue vous en a t il parlé? ou avez vous déjà regardé ce que c'était sur internet?
Ça, c'est généralement ce qu'on dit, soit quand on ne veut pas trop se mouiller, soit quand le diagnostic est grave. J'étais dans la première situation. Alors que je leur posais la question, j'ai utilisé mon coup de fil à un ami (google®) qui m'a gentiment répondu que la Maladie de Freiberg était " une déformation progressive d'une tête métatarsienne à la suite d'une ostéonécrose, que l'on appelle ostéochondrite sur un squelette en croissance. D'où l'appellation: ostéochondrite de Freiberg". Bref, je n'ai pas tout compris au premier abord, mais j'ai reconnu le mot "nécrose" et c'est rarement bon. Un clic sur la case traitement: "chirurgical: ostéotomie ou prothèse" . Je me dis donc "MERDE" parce que prothèse à 14 ans, c'est rarement joyeux et tout ce qui se finie par "-tomie", ça veut dire qu'on enlève un bout de quelque chose, donc c'est pas réjouissant non plus. Et tout ça à fait le tour de ma tête en quelques secondes (en vrai, ça a pris le temps de chargement des pages internet, mais j'ai eu l'impression que c'est allé super vite!)
- Non, on ne nous a pas dit grand chose à part de retourner voir notre médecin. [Et pas de chances, vous êtes pas tombé sur votre médecin, mais sur l'interne que vous aviez jamais vu... ]
C'est à peu près ce que la mère a eu le temps de me répondre pendant mes recherches. Puis, j'ai du faire un choix... Soit envoyer à l'orthopédiste en disant avec aplomb et certitude que c'était la meilleure chose à faire (alors que je n'en sais fichtrement rien), quitte à paraitre comme un crétin si en fait, je lui adresse quelque chose qui ne nécessite pas de traitement (parce qu'entre les hypothèses du radiologue et les diagnostics trouvés sur internet, il faut quand même être méfiant). Soit avouer que je n'y connais S-T-R-I-C-T-E-M-E-N-T R-I-E-N, et appeler l'ortho à qui je souhaitais l'adresser pour en savoir plus, quitte à paraitre incompétent au près de l'ortho et au près de la patiente et de sa mère. Après une longue réflexion d'une demi seconde, étant donné que mon maitre de stage ne répondait pas à mon SMS d'appel au secours, j'ai opté pour la double riddiculisation.
J'appelle fièrement CliniqueChirurgicaleDuCoin, et je tombe sur le standard à qui je demande de parler à un ortho pour un avis. On me dit qu'on me met en relation avec le sénior des urgences... Je me dis que ça commence bien, mais peut être le sénior des urgences saura t il me répondre! J'explique donc mon cas au sénior des urgences qui me répond alors qu'il va me passer un ortho, parce que ça sort de sa compétence. (Du coup, je me suis senti vachement moins seul face à ce diagnostic!) Enfin, l'ortho m'explique les choses au moins aussi bien que google® mais ne m'en dit pas beaucoup plus. Mais il m'a quand même dit que c'était rare à cet âge et donc qu'il faudrait mieux que je l'adresse au GrandHopitalPédiatrique pour qu'ils confirment d'abord le diagnostic. Comme quoi en fait, j'ai bien fait de passer ce coup de téléphone!
Au final, et le plus professionnellement possible, j'ai repris le contrôle de la consultation en leur expliquant tout ça et en leur donnant le numéro des rendez-vous du GrandHopitalPédiatrique. Enfin, j'ai essayé. On se sent quand même mieux je pense quand on a reconnu qu'on ne savait pas quelque chose et qu'on a pas bobardé le patient, plutôt qu'en ayant fait forte impression avec de grands discours factices, enfin c'est mon avis...
N'empêche que je revois encore la tête de la mère et de la fille quand j'ai dit à l'orthopédiste "patiente qui a un Freiberg, mais je ne connais absolument pas cette pathologie ni la conduite à tenir..." Une fois de plus merci de votre confiance!
lol trop bon le récit, j'avoue que moi j'aurais demandé l'avis auprès de l'ortho mais pas devant la patiente, je l'aurais mis dehors et l'aurais rappelé pour communiquer la CAT...c'est trop gênant ce moment flottement où déjà tu ne sais rien de cette maladie de Friberg et en plus tu fais stresser pendant de longues secondes la mère
RépondreSupprimerJe pense que le stress peut être pire si la patiente est seule dans le bureau et que le médecin est au téléphone à propos d'elle, dehors, pour ne pas qu'elle entende... genre "on veut me cacher des choses, ça doit être grave". Merci du commentaire.
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