jeudi 10 novembre 2016

Tu veux, ou tu veux pas... me faire confiance?

Cela va faire faire presque 5 mois que j'ai sauté le pas de l'installation! (en collaboration pour commencer, hein...) Et pour le moment, j'en suis content. Je comprends cependant tous ceux qui rechignent encore, qui préfèrent des bon remplas réguliers, à l'ensemble des démarches administratives et à l'engagement nécessaire.

Cela faisait 8 mois que je remplaçais dans ce cabinet, que je voyais les patients et pourtant, même si leur nom me disais vaguement quelque chose, impossible de me rappeler de quoi que ce soit de plus. Depuis l'installation, c'est peut être le fait de signer des "contrats médecin traitant". Ça s'appelle comme ça, même si je n'ai pas encore compris en quoi c'était vraiment un contrat entre le patient et moi vu que la seule personne que ça intéresse est la sécu... Bref, depuis que je suis devenu médecin traitant, je retins beaucoup mieux les patients, leur noms, leurs pathologies, leurs traitements et je suis même capable de répondre au téléphone sans avoir a fouiller le dossier! C'est la magie de l'installation! (C'est un peu comme les gaz du sang que je n'ai jamais réussi en tant qu'externe, mais que j'ai toujours réussi à partir de mon premier jour d'internat)

Tout ça pour dire, que quand je vois un patient qui demande à ce que je sois son médecin traitant, je ressens quand même une sorte de responsabilité supplémentaire en échange de la confiance qu'il m'accorde. Confiance indispensable à la relation et aux soins. Mais comment vois-t-on que l'on fait confiance et que le patient a confiance en nous?

J'en viens donc à parler de monsieur M., 35 ans, chez qui j'avais trouvé une hypertension artérielle. Dans les règles de l'art, après quelques mesures élevées en consultation, je lui ai prêté un appareil d'automesure étant donné qu'il ne pouvait pas s'en procuré un: 160/100, le verdict était sans appel. Après quelques essais infructueux d'introduction d'une monothérapie puis d'une bithérapie, j'ai rapidement du passer à la trithérapie: à l'association thiazidique-calcique, j'ajoute un IEC. Et là, les tensions était équilibrées!

Je le revois donc en consultation il y a quelques jours. Il n'avait pas d'automesures cette fois ci (j'avais du prêter l'appareil à quelqu'un d'autre), mais il n'y avait pas de raison que ça ait changé. Il me parle de céphalées importantes (qui me rappellent celles qu'il avait quand la tension n'était pas équilibrée). Malgré le peu de valeur que ça a, j'ai pris sa tension au cabinet:  160/100...
- Vous avez bien pris les médicaments ce matin?
- Oui oui docteur!
- Parce que vous vous souvenez, qu'une fois précédentes, j'avais trouvé des tensions élevées parce que vous n'aviez plus de médicaments depuis 3 jours.
- Il m'en reste docteur, j'ai pris ce matin.
Je profitais de cette rapide discussion pour jeter un œil sur ses remboursements de santé et effectivement, les médicaments étaient bien délivrés et il devait encore en avoir assez. .

Je refais mon questionnaire sur les aliments salés, le réglisse, l'alcool et le sport: les règles diététiques sont bien suivies. Je décide finalement de le faire revenir une semaine plus tard avec des automesures (mon appareil était à nouveau disponible). Et comme dans les histoires pour externes, le patient me paye en disant:
- C'est bien le nouveau médicament docteur, je ne me lève plus la nuit pour faire pipi depuis que je le prend!

N'ayant pas compris la remarque, ni la physiopathologie qui pouvait amener un IEC à améliorer ce genre de symptômes, je lui demande d'expliquer ce qu'il veut dire.
- Oui docteur, depuis que je prend l'IEC tous les matin, je fais moins pipi. Alors que quand je prenais l'autre, ça n'arrêtai pas.

C'est alors que j'ai compris pourquoi sa tension était aussi mal contrôlée. A nouveau.

Si j'ai regardé ses remboursement pour être sur qu'il me disait la vérité, c'est que je n'avais pas confiance en ces réponses. Et  si je ne lui fais pas confiance, comment pourrait-il me faire confiance? C'est donc finalement lui qui s'est ouvert à moi en premier en m'avouant, à demi-mots, puis plus franchement qu'il ne prenait plus tous ses traitement.

L’observance est selon moi un croisement entre le risque d'une maladie expliquée par le médecin, le risque d'une maladie interprété par le patient et les effets perçus par le patient (effets positifs et indésirables). Ensuite, la balance penche dans un sens ou dans un autre.

Les spécialistes de l'observance ne manqueront pas de rajouter tout un tas de facteurs supplémentaires qui seront tous aussi juste les uns que les autres (parce que leur petit p était significatif, mais n'ayant pas fait de revue de la littérature exhaustive sur le sujet, je laisse expliquer tout ça s'ils souhaitent compléter mon billet!) 
J'en viens à la perception de la "bonne" ou de la "mauvaise" observance. La bonne observance étant classiquement définie par plus de 80% des médicaments pris... Mais c'est un sens qui laisse dubitatif, parce que certains traitement sont "plus importants que d'autres: dans le VIH, un patient observant prend 90% de ses traitements, alors que pour une hypertrophie bénigne de prostate, si le patient est peu observant (car pas si symptomatique au final), cela ne me dérangera pas. 

Un questionnaire très intéressant tourne justement sur internet: "la vision de l'observance selon les médecins en fonction des traitements et des pathologies" Ce questionnaire est assez "ludique", et pousse à réfléchir sur l'importance qu'on accorde à nos prescriptions. A vous de jouer en cliquant ici! (http://clinicalepidemio.fr/mapp/ si le lien ne marche pas)

Tout ça pour dire que je remercie ce patient de m'avoir  montré mes lacunes probables dans mes explications, de m'avoir montré, qu'à tord, je n'accorde pas assez de place à ce qu'il me disait, et de m'avoir fait confiance malgré tout pour qu'on améliore ensemble sa prise en charge. 

Je l'ai revu quelques semaines plus tard. Sa tension était parfaitement équilibrée, mais nous avons tout de même modifié le traitement pour diminuer la dose de thiazidique et augmenté l'IEC pour qu'il soit moins dérangé par le diurétique. 
Je viens de le revoir. Sa tension était parfaitement équilibrée, les effets secondaires pas si indésirables. Il s'est mis à me parler de ses autres problèmes, ceux qu'il considérait comme secondaires car ils l’entrainement pas d'AVC ni d'infarctus. Mais qui le font bien plus souffrir qu'un pourcentage risque d'accident vasculaire à 10 ans.

L'observance un des multiples reflets de la relation....

10 commentaires:

  1. Super texte ! Merci d'avoir partagé ces réflexions !

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    1. Merci! (je ne suis malheureusement pas un grand littéraire, mais j'aime bien partager de temps en temps)

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  2. Je ne sais pas trop comment faire pour partager ça.
    Les hospitaliers et la médecine de ville doivent y penser aussi :
    http://www.charentelibre.fr/2016/11/10/je-suis-ecoeuree-du-mepris-general-une-infirmiere-liberale-de-nos-campagnes-ecrit-a-cl,3067508.php

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  3. Bonjour,
    Ce billet est passionnant et rend compte de l'intérêt inégalé d'avoir un médecin traitant.
    Mais il pose encore plus de questions que tu n'en poses.
    Je prends un seul exemple. Tu écris : "L’observance est selon moi un croisement entre le risque d'une maladie expliquée par le médecin, le risque d'une maladie interprété par le patient et les effets perçus par le patient (effets positifs et indésirables)." Tu oublies ceci : Les effets du traitement perçus par le médecin. Et aussi : comment un patient pourrait-il percevoir l'effet favorable d'un traitement sur la baisse de la PA alors que l'HTA est asymptomatique (dans ce cas, semble-t-il) ?
    Dernier point : je ne regarde jamais les remboursements sur Ameli. Pourquoi ? Parce que, comme tu le dis, c'est ne pas faire confiance au patient ; c'est aussi connu que les patients achètent les médicaments et ne les prennent pas après qu'ils ont lu la notice, après que leur voisin a dit que, parce qu'ils ont peur de les prendre, soit en raison des possibles effets indésirables, soit parce que la prose de médicaments "signe" la maladie qu'ils n'ont pas envie d'avoir, et cetera.
    La non observance est avant tout un manque d'explications "pertinentes" du prescripteur, pertinent signifiant adapté au patient particulier. Toutes les explications ne sont pas bonnes. Mais c'est aussi à la liberté de choix du patient. quand le patient ne prend pas les médicaments c'est tjoujours un échec du prescripeur mais il ne faut pas en faire un fromage sauf dans les pathologies aiguës.
    Voilà.
    bel apprentissage de la médecine générale.

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    1. Bonjour, merci pour ce commentaire. Effectivement, il y aurait de multiples choses à rajouter. Concernant l'effet du traitement perçu par le patient, c'est justement en ça que le questionnaire que j'ai mis après est intéressant. En le remplissant, je me suis aperçu que pour une grande partie des traitements, les oublis n'étaient pas si "grave" que ça au final... ça fait quand même relativiser, et permet de voir sur quels traitement on veut vraiment insister pour que le message perçu par le patient soit le plus clair possible.
      Je ne regardais pas souvent les remboursements, seulement quand le patient ne connaissait pas son traitement, n'avait pas d'ordonnance et que le dossier (papier à l'époque) n'avait pas les informations. Depuis cette histoire, je regarde à nouveau beaucoup moins. (Et ça laisse plus de temps pour parler au patient plutôt que d'être scotché à l'écran!)

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    2. Je voudrais faire une remarque:
      Votre échange postule que toute prescription est conforme à une balance bénéfice/risque favorable et donc que la non observance fait courir des risques aux patients.
      Or vous savez aussi bien que moi qu'il n'en est rien, loin s'en faut.
      A titre d'exemple que penser d'un médecin qui prescrit un dosage de PSA pour le dépistage du cancer de la prostate à un homme de 50 ans qui lui ne suit pas cette prescription et est donc non observant ?

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    3. Quand on parle de confiance vis à vis du médecin, un témoignage :
      http://mescoupsdevie.blogspot.co.id/2016/11/medecins-charlatans-je-vous-hais.html

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    4. Bonsoir, merci pour le lien. Je suis parfaitement d'accord. (Certes je postule qu'un médecin prescrit parce ce qu'il JUGE que le traitement a une balance bénéfice/risque favorable, pas qu'elle l'est réellement d'après la science). Justement, ce que je veux dire c'est que cette non observance n'est pas toujours néfaste. Comprendre pourquoi un patient ne veut pas prendre un traitement (parce qu'à la télé, ils ont dit que les statines c'était par toujours bien), c'est échanger et conclure certaines fois que le patient a bien raison de ne pas avoir pris ce traitement. J'avais déjà parlé de ce que le patient pouvait apporter au médecin ici: https://medicalement-geek.blogspot.fr/2014/04/la-grande-lecon-de-la-vie-cest-que.html

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  4. Curiosité hors propos : sur une consultation simple de 15 minutes combien de temps de "conversation" avec l'ordinateur et combien de temps avec le patient ?

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    1. Je répondrais bien : "encore un peu trop!", mais ça resterai abstrait. Mes consultations étant de 20 minutes en moyennes, 7 à 10 minutes sur l'ordinateur je dirais, en tenant compte qu'être sur l'ordinateur n'empêche pas de parler avec le patient, d'annoter ce qu'il nous dit sur l'ordi, de lui dire ce qu'on modifie dans l'ordonnance, de lui demander s'il y autre chose qui ne va pas avant d'imprimer la dite ordonnance. Je cherche encore la bonne balance pour converser au mieux avec le patient et avoir des dossiers bien tenus.

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